Mauvais moment à passer ou épisode cauchemardesque, la narcose n’a pas la cote. En dépit des progrès médicaux, elle suscite souvent des appréhensions
La peur de ne pas se réveiller arrive en tête des angoisses associées à l’anesthésie. Egalement évoqué par nombre de malades, le sentiment de perte complète de contrôle: «Dans un milieu aussi agressif qu’une salle d’opération, certains patients vivent mal de s’en remettre totalement à d’autres, explique le Dr Alain Forster, responsable de l’anesthésie ambulatoire à l’Hôpital cantonal de Genève. Les gens se sentent devenir un objet, un peu comme un morceau de viande chez le boucher.»
Mais quels sont les dangers réels liés à la narcose? D’une manière générale, les risques dépendent de l’état de santé du patient, du type d’intervention, de la technique utilisée et du savoir-faire de l’équipe soignante.
L’allergie à un ou plusieurs produits utilisés constitue une des complications possibles. On estime à une réaction allergique bénigne (type boutons, petite chute de tension…) sur trois mille anesthésies générales. Les réactions allergiques graves, tel le choc anaphylactique, sont beaucoup plus rares: environ un accident sur trente mille narcoses, entraînant la mort dans un cas sur cent mille. Les produits incriminés sont principalement les curares, des myorelaxants couramment employés et souvent indispensables dans les anesthésies générales.
Citons encore les problèmes respiratoires et cardiaques ainsi que les cas de vomissement et d’inhalation du contenu gastrique, si le sujet n’était pas à jeun. Ajouter à cela qu’une intervention en urgence augmente significativement les risques liés à la narcose et à l’acte chirurgical.
Dans les pays occidentaux, on estime à un décès, toutes origines confondues, sur vingt mille anesthésies réalisées. «Même si c’est relativement peu, cela reste toujours inacceptable du point du vue des patients», commente Alain Forster.
Et de souligner le rôle du bilan préopératoire dans la réussite de l’ensemble de la prise en charge. Cette rencontre avec le médecin-anesthésiste va donner lieu, si nécessaire, à des examens complémentaires. C’est aussi le moment de poser des questions ou de confier ses peurs à celui ou celle qui va s’occuper de vous. A retenir: l’âge du patient est moins important que son état physique et psychique.
Conscients de l’importance d’une bonne préparation, certains hôpitaux disposent d’une consultation préhospitalière d’anesthésie, conçue pour les opérations programmées. Ce service permet d’améliorer la qualité de l’examen clinique et de prendre connaissance des antécédents médicaux du futur opéré, ses éventuelles allergies, ses traitements en cours, etc. Une manière d’anticiper au mieux l’intervention, sans le stress d’une veille d’opération.
Autre facteur de confort, la prémédication consiste à administrer au patient un sédatif, sous forme de comprimé ou de piqûre, avant de le descendre au bloc. Pour Alain Forster, la décision de recourir à un médicament relaxant devrait être laissée aux patients eux-mêmes afin qu’ils conservent un peu de contrôle.
Car la narcose est avant tout une histoire de confiance. «Les médicaments ne remplacent pas la relation, estime Alain Forster. Une bonne discussion préalable avec des explications claires doivent en principe pouvoir calmer le patient.»
Pour diminuer l’anxiété, on peut aussi utiliser des techniques de relaxation: «Pendant que je prépare le matériel, je demande souvent à mon patient où il souhaiterait être à ce moment précis, si le sable de la plage est blanc et la mer turquoise… Je leur parle aussi de façon concrète et positive de la salle de réveil en leur disant qu’ils auront faim et soif.»
La question des effets secondaires imputables à l’anesthésie générale revient souvent chez les patients. Troubles de la mémoire, intense fatigue, mal-être: nombre de personnes se plaignent de divers maux suite à une intervention. Info ou intox? «Aucune étude scientifique n’a pu mettre en évidence ce type de problème, constate Alain Forster. Quant à la fatigue ressentie par certains, il faut plutôt la comprendre comme une conséquence des multiples stress entourant une opération. Ou comme une façon d’exprimer des angoisses.»
En ce qui concerne l’élimination des produits anesthésiques, on doit compter environ vingt-quatre heures pour retrouver totalement ses esprits après une intervention de deux heures.
Et chez les enfants?
Pour des raisons physiologiques, l’anesthésie des très jeunes enfants est plus délicate. «La narcose chez un bébé de moins d’un an comporte plus de risques dans la mesure où les fonctions respiratoires et cardiovasculaires sont plus difficiles à assurer», explique la doctoresse Isabelle Spahr, anesthésiste à l’Hôpital des enfants de Genève.
Précaution supplémentaire, l’anesthésie loco-régionale n’est pas utilisée seule chez les jeunes patients: elle est généralement «doublée» d’une anesthésie générale légère. «Poser une péridurale est plus difficile chez les petits, sans compter qu’ils ont du mal à rester tranquilles pendant la ponction. C’est pourquoi nous les endormons avant cet acte afin de le réaliser en toute sécurité.» Cet endormissement superficiel a également l’avantage d’éviter à l’enfant le stress de l’intervention et les éventuels traumatismes qui peuvent en découler.
Si les produits anesthésiques ne diffèrent guère de ceux utilisés pour les adultes, la narcose du bébé et de l’enfant fait cependant appel à une approche adaptée à leurs besoins. Témoin, le recours au masque rose parfumé à la fraise pour endormir les moins de cinq ans et même les plus vieux qui redoutent trop les piqûres.
Autre stratégie pour calmer la douleur autant que les esprits: «A partir de 7-8 ans, nous ne proposons plus le masque. En revanche, nous leur mettons une crème anesthésiante, dite «crème magique», une heure avant de piquer et de procéder à l’induction.»
Citons aussi le rôle de l’auto-hypnose chez les enfants souffrant de graves maladies chroniques: grâce à cette technique, ils évitent la prémédication et reprennent un peu de contrôle sur ce qu’ils vivent.