Johnson & Johnson a été contrainte de remettre des milliers de documents internes confidentiels suite aux plaintes de 11 700 personnes prétendant que son talc leur avait donné le cancer.
Selon une enquête de Reuters, les documents, qui datent de 1971 au début des années 2000, montrent que des membres du personnel J & J de tous les rangs – allant des cadres aux scientifiques, en passant par les avocats – savaient que la poudre était parfois testée positive pour de petites quantités d’amiante.
Bien que tout ce monde ce soit inquiété du problème et de la manière de le résoudre, personne n’a divulgué les conclusions aux autorités de réglementation ou aux consommateurs.
Le rapport accablant de Reuters fait baisser les actions de la compagnie de 8% vendredi, mettant ainsi la société sur la voie de la pire journée de sa décennie.
Les premières mentions de poudre J & J contaminée qui ont été découvertes par Reuters proviennent de rapports rédigés par un laboratoire-conseil en 1957 et 1958.
On y mentionne la présence de contaminants dans le talc provenant du fournisseur italien de Johnson & Johnson , sous forme de trémolite fibreuse et aciculaire ou analogue à une aiguille.
C’est l’un des six minéraux qui, dans leur forme fibreuse naturelle, sont classés dans l’amiante.
À divers moments depuis le début des années 2000, des scientifiques de Johnson & Johnson, de laboratoires extérieurs et du fournisseur de la multinationale ont présenté des résultats similaires.
Les rapports identifient les contaminants présents dans la poudre et les produits finis en poudre comme étant de l’amiante ou les décrivent en termes généralement appliqués à l’amiante, tels que « fibre » et « tiges ».
En 1976, alors que la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis se penchait sur les limites de l’amiante dans les produits cosmétiques à base de talc, Johnson & Johnson a assuré au régulateur qu’aucune quantité d’amiante n’était détectée dans aucun échantillon de sa célèbre poudre entre décembre 1972 et octobre 1973.
La compagnie n’a pas indiqué à l’agence qu’au moins trois tests effectués par trois laboratoires différents entre 1972 et 1975 avaient révélé la présence d’amiante dans son talc, à des niveaux rapportés comme « plutôt élevés ».
La plupart des rapports de test d’amiante que Reuters a examinés ne parlent pas d’amiante. Cependant, bien que les méthodes de test de Johnson & Johnson se soient améliorées avec le temps, elles ont toujours eu des limites qui permettent aux traces de contaminants de ne pas être détectées. De plus, seule une infime fraction du talc de la société a été testée.
Il faut savoir que l’Organisation mondiale de la santé et d’autres autorités dans ce domaine ne reconnaissent aucun niveau d’exposition sans danger à l’amiante.
Bien que la plupart des personnes exposées à l’amiante ne développent jamais de cancer, pour une partie d’entre elles, même de petites quantités d’amiante suffisent à déclencher la maladie des années plus tard. Aucune quantité minimale n’a été établie. De nombreux plaignants allèguent que les quantités qu’ils ont inhalées en se saupoudrant de talc contaminé étaient suffisantes.
La preuve de ce que la compagnie Johnson & Johnson savait tout cela est apparu après que des personnes soupçonnant que la poudre avait causé le cancer ont engagé des avocats pour entrer dans le déluge de litiges impliquant des travailleurs exposés à l’amiante, qui dure depuis plusieurs décennies.
L’une des premières plaignantes se nommait Darlene Coker.
Darlene se sachant mourante a voulu savoir pourquoi.
Elle savait que son cancer, le mésothéliome, était apparu dans la délicate membrane entourant ses poumons et d’autres organes. Elle savait que c’était aussi rare que mortel et que c’était une signature d’exposition à l’amiante. Et elle savait que cela touchait surtout les hommes qui inhalaient de la poussière d’amiante dans des mines et des industries telles que la construction navale et qui utilisaient l’agent cancérigène avant que ses risques ne soient compris.
La femme de 52 ans avait élevé deux filles et dirigeait une école de massage à Lumberton, une petite ville de l’est du Texas. Comment avait-elle pu être exposée à l’amiante? Elle voulait des réponses!
Se battant pour chaque respiration et aux prises avec une douleur invalidante, Darlene a embauché Herschel Hobson, un avocat spécialisé dans les blessures corporelles. Il est tombé sur un suspect: la poudre pour bébés Johnson’s que Darlene Coker avait utilisée pour ses enfants en bas âge et qui s’en est servie toute sa vie pour elle-même.
L’avocat savait que le talc et l’amiante étaient souvent présents ensemble dans le sol et que le talc extrait pouvait être contaminé par l’agent cancérigène. Il a poursuivi Johnson & Johnson, alléguant que l’élément cancérigène était la fameuse poudre pour bébés, le produit phare de la société.
Johnson & Johnson a nié sa responsabilité. La poudre pour bébé ne contenait pas, amiante, a-t-on déclaré. Au fur et à mesure que l’affaire avançait, J & J est parvenue à éviter de devoir remettre les résultats des tests de talc et d’autres dossiers internes de la société, demandés par Hobson, afin de plaider contre l’entreprise.
Herschel a découvert une lettre que des avocats de J & J avaient reçue quelques semaines auparavant de la part d’une géologue de l’Université Rutgers confirmant qu’elle avait trouvé de l’amiante dans la poudre pour bébé de la société, identifiée dans son étude de 1991 comme étant des aiguilles de trémolite.
L’avocat a accepté de reporter ses demandes jusqu’à ce qu’il reçoive le rapport de pathologie sur le tissu pulmonaire de Darlene.
Johnson & Johnson a demandé au juge de classer l’affaire, arguant que Coker n’avait « aucune preuve » que sa poudre pour bébés avait causé le mésothéliome.
Quelques jours plus tard, le rapport de pathologie a atterri: le tissu pulmonaire de Darlene Coker contenait des dizaines de milliers de «fibres longues» de quatre types différents d’amiante. Les résultats étaient « compatibles avec une exposition à du talc contenant du chrysotile et une contamination par de la trémolite », concluait le rapport.
L’avocat a déclaré au juge dans le cadre d’une demande de délai supplémentaire pour former une opposition à la requête en irrecevabilité de J & J. que « Les fibres d’amiante trouvées soulevaient une nouvelle question de fait » Le juge lui a donné plus de temps, mais a rejeté sa demande de reprise de l’enquête.
Sans preuve contre e J & J et sans espoir d’en avoir, l’avocat a conseillé à Darlene de laisser tomber sa poursuite.
Darlne n’a jamais su pourquoi elle avait un mésothéliome. Elle a toutefois déjoué les statistiques. La plupart des patients atteints par sa maladie meurent dans l’année qui suit le diagnostic. Darlne a tenu assez longtemps pour voir ses deux petits-enfants. Elle est décédée en 2009, 12 ans après son diagnostic, soit à l’âge de 63 ans.
La fille de Darlene, Crystal Deckard, avait cinq ans lorsque sa sœur, Cady, est née en 1971. Deckard se souvient d’avoir vu la fort connue bouteille blanche de Johnson’s Baby Powder sur la table à langer où sa mère déposait nouvelle soeur.
«Quand maman a été condamnée à mort, elle avait le même âge que moi à présent», a déclaré Deckard. «Je l’ai tout le temps dans la mémoire. Cela pourrait-il nous arriver? Moi? Ma sœur?’
Au fil du temps, les avocats de Darlene et d’autres clients ont appris que des producteurs de poudre avaient effectué des tests d’amiante, et ont commencé à exiger des documents d’essai de J & J.
Ce que Johnson & Johnson a produit en réponse à ces demandes a permis aux avocats des plaignants d’affiner leur argumentation: le coupable n’était pas nécessairement le talc lui-même, mais l’amiante dans la poudre. Cette affirmation, étayée par des décennies de recherche scientifique prouvant que l’amiante est à l’origine du mésothéliome et est associée à des cancers de l’ovaire et d’autres cancers, a connu un succès mitigé dans les tribunaux.
Plus tôt cette année, dans le New Jersey et en Californie, deux jurys ont attribué de grosses sommes à des plaignants qui, comme Darlne Coker, ont affirmé que la poudre de J & J, était teinté d’amiante, ce qui avait causé leur mésothéliome.
Un troisième verdict, à Saint-Louis, a constitué un tournant décisif dans le dossier, en élargissant la responsabilité potentielle de Johnson & Johnson . Les 22 plaignants ont été les premiers à faire droit à la plainte alléguant que la poudre pour bébé et le talc Shower to Shower, vendus depuis 2012, étaient teintés d’amiante, et responsable de cancer de l’ovaire, qui est beaucoup plus fréquent que le mésothéliome.
Le jury leur a octroyé 4,69 milliards de dollars de dommages et intérêts.
La plupart des cas de talc ont été rapportés par des femmes atteintes d’un cancer de l’ovaire qui ont déclaré utiliser régulièrement les produits à base de talc J & J comme antitranspirant et déodorant périnéal.
Toutedois, au moins trois jurys ont rejeté les allégations selon lesquelles la poudre pour bébé était contaminée à l’amiante ou était la cause des mésothéliomes des demandeurs. D’autres n’ont pas réussi à rendre leurs verdicts, ce qui a entraîné des erreurs de procès.
Quand on pense aux nombres de bébés et d’adultes qui ont été en contact avec ces produits depuis des décennies, il est quand même inquiétant de lire tout ça…